Photographie et Engagement
- Teycir Arjoun
- 12 juin 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 juin 2020
" Dégage " : le Collectif de photographes Tunisiens
Fin 2010, la Tunisie est le théâtre d'un soulèvement populaire sans précédent. Des manifestations ont lieu dans les principales villes du pays et les affrontements, souvent sanglants, se multiplient avec les forces de l'ordre, donnant voix à tout un pays. De nombreux photographes, professionnels et amateurs, descendent alors dans la rue à la fois pour manifester et participer à ce moment historique, mais surtout pour témoigner. Ils rejoignent ce cri de guerre à l’actuelle place Habib Bourguiba, puis en février à la Kasbah près de millions de jeunes tunisiens prêts à mourir pour se débarrasser d'un système politique dictatorial. Leurs appareils deviennent une arme redoutable et leurs photos commencèrent à circuler sur les réseaux sociaux du monde entier, très vite relayés par les chaines de télévision étrangères.
Quinze jours après la révolution , douze Photographes amateurs et professionnels tunisiens de 18 à 38 ans forment le collectif «Dégage», une exposition de 40 photographies inédites et 200 clichés en référence au 14 janvier où ils ont immortalisé à coups d'instantanés le Printemps arabe. Leïla Souissi la commissaire de l'exposition fait la sélection des photos animées tantôt de gravité tantôt d'espoir qui témoigne des moments les plus intenses de cette révolution et fait rappel d'une réalité encore présente dans tous les esprits.
En couleurs, en noir et blanc, dans des formats grands ou moyens , les photos exposées ont pour sujets de faire défiler les moments forts des manifestations, de transmettre l'ampleur des victoires et le courage de celles et ceux qui se sont soudain rassemblés, issus de toutes les couches sociales , face à la police .
Le regard du photographe est toujours perceptible pour capter les mouvements, les gestes, les slogans, les moments de doutes, de désespoir, de solitude ou de violences. Entre œuvres artistiques et photographies classiques, les clichés font sens et interpellent avec ou sans recontextualisation. Citons dans ce contexte, le photographe Heithem Chebbile propriétaire de la fameuse photographie d'un policier qui tient un sandwich saucé uniquement de harissa. La police a voulu prouver qu'elle n'était pas responsable de la mauvaise gouvernance. Ce policier qui a brandi son sandwich, souhaitait dire à ses concitoyens, qu'il n'est qu'un simple fonctionnaire, capable de s'offrir avec son salaire mensuel, misérable qui représente 250 dinars ce bout de pain, alors que le sandwich du président Ben Ali, aurait été garni de thon. Cela signifie aussi, que tous les corps de métiers ont été spoliés et la photo terrible de Saif Chaabane, celle d'un Tunisien qui s'est cousu la bouche symbolise l'auto-censure qui était un recours automatique pendant le régime de Ben Ali.
L’engagement est au cœur de leurs démarches d’artistes. L’activisme, le militantisme, ont été leurs espaces de création qui, par incidence, ont révélé à d'autres le besoin d’expression "Nous sommes des photographes manifestants révolutionnaires" souligne Sélim Tlili l'un des photographes de ce collectif.
En dehors des dimensions artistique ou historique, ils sont ceux qui ont eu le courage d’informer la population au moment où pas un organe de presse tunisien n’osait publier le moindre reportage ou la moindre image de la révolte populaire ce qui fait aujourd'hui de cette exposition un véritable document et témoignage historique, que le public pourra visionner.
Cet évènement historique tunisien devient le symbole d'une nation nouvelle dont l'exemple a donné vie au Printemps arabe et ces photographies ont été exposées à lʼInstitut du Monde Arabe à Paris, à Narbonne, Berlin et puis à Barcelone et ont propulsé ce collectif des photographes sur la scène internationale.
Les sources :
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