La Belle et La Meute ou (على كف عفريت)
- Teycir Arjoun
- 12 juin 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 juin 2020
Le quatrième long-métrage de la réalisatrice Tunisienne Kaouther Ben Hania , issue d'une adaptation libre d'un fait divers de 2012 qui a donné un récit autobiographique relatée par la victime elle-même (Meriem Ben Mohamed) dans un ouvrage intitulé « Coupable d’avoir été violée » .

La Belle et La Meute est un film créé en 2017 de coproduction nord-sud vertueuse qui retrace librement les événements de l'histoire de Meryem , (Mariam Al Ferjani). La jeune Tunisienne revêt, avec un peu d’hésitation, une belle robe échancrée pour se rendre à une fête d’étudiants. Dans la fête, elle y rencontre Youssef ( Ghanem Ezzreli ) , un jeune homme plein de charme, qu’elle décide d’accompagner sur une plage . Tout s’est bien passé jusqu'au plan suivant qui nous la montre en état de choc, titubant dans les rues ... Que s’est-il passé ? Rapidement se dessine la scène manquante, judicieusement non filmée par la réalisatrice (on n’en verra que quelques images furtives sur l’écran d’un téléphone portable) : Mariam et Youssef ont été interpellés par une patrouille de police et la jeune femme déclare avoir été violée par les agents dans leur voiture. Le film relate la nuit de cauchemar vécue par Mariam. Soutenue par Youssef pendant une grande partie des événements, elle doit porter plainte mais elle s'est vue accusée en retour d'atteinte aux bonnes moeurs et comportement immoral ainsi qu’un déni plus général, partagé par l’ensemble du corps social et relayé par l’opinion publique.

La cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania a choisi de réaliser ce film à suspense déchirant. Elle s'engage pour explorer la liberté limitée qui est accordée aux femmes dans une société patriarcale à travers la remarquable Mariam Al Ferjani, dans un rôle particulièrement difficile. Tout en restant sobre, le film nous plonge, avec brio, dans l'angoisse et la panique que ressent la victime âgée de 21 ans qui vient de subir un viol, et tout en reposant sur ces détails frappants comme la robe que portait Meryem pour faire la fête, et le fait de rester en tête a tête avec un homme à la plage dans la nuit l'empêche d’être une victime de viole mais coupable aux yeux de la société et aux reproches de tous les représentants de la société, que ce soit dans le milieu médical , le chauffeur de taxi ou la commissaire enceinte et bien sur rien n’est simple lorsqu’on veut attaquer la police .
L'héroïne du film crève l'écran et l'on s'identifie à elle qui se retrouve seule face à l’adversité. On est vissé sur son siège dans un stress permanent en se demandant quelle nouvelle pression et humiliation elle va subir . On vit avec elle , les menaces des policiers développent comme une meute les menaces et une stratégie de la peur pour éviter le dépôt de plainte , ainsi que-la persuade de se faire dresser une attestation par un médecin légiste , le journaliste qui essaye de lui téléphoner pour l'aider jusqu’à l’ami Youssef : Elle est adoucie par la fluidité apportée par une série de plans séquence qui renforcent à la fois la tension et l’impression de réel et dont le temps finit par déborder le récit .
Un calvaire qui ne concerne ici pas tant le viol, pudiquement escamoté par une ellipse, que la longue lutte de Mariam, contre une administration hospitalière et policière qui fait la sourde oreille et qui tente par tous les moyens d’étouffer sa plainte et retourne l’accusation contre elle. Tourné au plus près des personnages, largement en intérieurs, dans un décor épuré et grandement porté par les dialogues, La Belle et la meute n’échappe pas à une certaine théâtralité mais elle est clairement voulue.
La scène de fin où la frêle Mariam subit les ultimes pressions d'un énorme policier est la métaphore de la fragilité de chercher la justice face à une institution écrasante qui est prête à tout pour éviter le scandale dans une société où la loi peut envoyer en prison un couple d'amoureux qui s'est embrassé mais donne l'impunité à des policiers violeurs.

La belle et la meute le film à thèse qui n'est pas seulement un film sur le viol, est un film de garde à vue et sur la difficile transition démocratique tunisienne ainsi que l'espace public confisqué par les hommes. Ce cauchemar kafkaïen se veut édifiant car il s’agit ici d’alerter sur ce que n’a pas résolu la révolution : l’importance de la loi et de son application comme protection des citoyens, à commencer par les femmes.
La cinéaste Kaouther Ben Hania signe un thriller porté par une comédienne remarquable Mariam Al Ferjani et son jeu très physique sait allier fragilité et indocilité ainsi que la mise en scène habilement découpée en épisodes et aux acteurs comme Ghanem Ezzreli , Mohammed Akkari et Noomane Hamda et la présence de dialogues justes et émouvants pour mettre en relief cette triste réalité celle de et dans la hiérarchie entre les sexes qui conduit à l’infériorisation de la femme , l'injustice et L'absence d'empathie face aux femmes violées .
L’engagement au cinéma se traduit par des œuvres filmiques conçues à des fins politiques ; elles visent à produire un changement politique en montrant les conséquences sociales d’une loi inique, dans la mesure ou le film conserve sa pertinence pour le public local tout en touchant le reste de la planète.

Mon petit regret , puisque on ne peut pas détourner un tel film sans un esthétisme incongru est que le film contient un discours technique presque sans intérêt, sans musique, sans qualité photographique, mais on peut en effet se demander si s'attarder sur la technique n'aurait pas été une erreur .
Les sources :
Comentários